7/15/2009

Le négoce de matières premières s’impose dans l’arc lémanique. Un tiers de l’or noir mondial y est négocié.




La Tribune de Geenève / ALAIN JOURDAN | 15.07.2009 | 00:00


En quelques années, Genève est devenue la deuxième place mondiale pour l’achat et la vente de pétrole et de matières premières. Tout juste derrière Londres. Peu de gens savent que les cargos qui acheminent l’or noir vers les plates-formes d’affinage ou de stockage du monde entier, s’achètent et se vendent depuis de discrets bureaux installés dans la Vieille-Ville. Pendant longtemps, la City de Londres a eu la haute main sur ce marché très technique qui nécessite des levées de fonds et des prises de risque. En une dizaine d’années, la place financière genevoise s’est imposée sur le marché mondial du courtage de pétrole.

Addax, Gunvor, Mercuria, ­Vitol, Petrolin, Trafigura ou encore Litasco – autant de noms aujourd’hui mondialement connus dans le négoce de pétrole – ont pris d’importantes parts de marché. Ainsi, plus d’un tiers des 30 millions de barils qui s’échangent chaque jour dans le monde sont désormais négociés à Genève et la City pourrait bien perdre sa couronne dans les prochaines années. Car plus aucune société ne peut se payer le luxe d’être absente de Genève.

En juin 2006, Louis Dreyfus Commodities a déplacé toutes ses activités européennes de trading à Genève. «Ce métier ne peut pas exister sans les banques», explique Bernhard ­Lippuner, ancien directeur du département négoce au Credit Suisse et fondateur de l’association genevoise du négoce et de l’affrètement (GTSA). L’activité de trading n’aurait pas connu un tel essor sans l’engagement de grands établissements bancaires.

Plusieurs banques, dont BNP Paribas, le Crédit Agricole, ING, la Banque Cantonale de Genève, UBS ou Credit Suisse, ont créé et développé des départements spécialisés. «Un seul cargo de brut vaut entre 50 et 60 millions de dollars au prix actuel. Aucun trader ne peut se passer d’une banque», confirme Jérôme Schurink, directeur financier de Gunvor, l’une des sociétés de trading les plus dynamiques de la place genevoise. Ce sont elles qui financent les flux. Les sociétés de trading, elles, prennent les commandes et revendent.

Tout se joue sur des délais très courts. Un mois, trois mois maximum. La prise de risque doit être calculée au plus juste. C’est le savoir-faire des traders, des «matheux» le plus souvent. Aujourd’hui, le seul obstacle au développement de cette activité très lucrative pour Genève pourrait être la pénurie de spécialistes.

Genève fait des envieux

Depuis 2006, les grandes sociétés de trading travaillent au développement de filières de formation. Un master a d’ailleurs été créé en partenariat avec l’Université de Genève et le GTSA. Le succès de Genève fait des envieux, jusqu’à Singapour. La place financière asiatique envoie ainsi régulièrement des délégations, pour s’inspirer de ce qui se fait ici. Pourquoi Genève a ravi la place convoitée par Dubaï, Singapour, Chypre et même Zoug? «Parce que tout ce pétrole doit être transporté, que cela se fait par voie maritime et que les brokers qui font l’affrètement des bateaux sont
à ­Genève», explique Bernhard Lippuner.

Parmi ceux-ci, Mediterranean Shipping. Mais ce n’est pas tout. Jongler avec de tels volumes de produits pétroliers ou de gaz, aux quatre coins de la planète, nécessite de pouvoir contrôler ce qui est chargé et déchargé. SGS et Cotectna, deux sociétés d’inspection et de certification mondialement connues ont, ­elles aussi, pignon sur rue à Genève. Les sociétés de trading peuvent en outre s’appuyer sur un réseau de cabinets d’avocats spécialisés et de compagnies d’assurances (AXA, Helvetica) pour faire prospérer leur activité.

Les fondations fleurissent

Le bénéfice, pour Genève, est considérable. Mais il n’y a pas seulement les retombées fiscales. On estime aujourd’hui à près de 6000 le nombre de personnes travaillant dans le secteur du trading pétrolier. Au total, plus de 350 sociétés vivent de cette activité. Il y a un autre domaine qui profite de cette expansion, c’est celui du mécénat et des œuvres caritatives.

Une tradition, elle aussi, bien genevoise.

Autour des sociétés de trading se développent des fondations ou des programmes de soutien ou d’entraide à des pays en voie de développement. En avril 2008, l’épouse de Guennadi Timtchenko, le fondateur de Gunvor, a créé la Fondation Neva qui soutient des actions dans le domaine de l’art, de la culture, de la santé, de l’éducation, de l’environnement… Le Suisse Jean Claude Gandur (Addax) a créé, lui, une fondation pour soutenir des projets de développement économique et social en Afrique et au Moyen-Orient.





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Atouts locaux: «L’aéroport est à côté»

L’ambiance est calme, presque décontractée. Derrière leurs écrans, des traders achètent et vendent. Un pool s’occupe du pétrole brut, l’autre des produits raffinés. La vue est imprenable. Les bureaux situés quai Général-Guisan donnent directement sur la rade. «On s’est installés à Genève en 2003. Au départ, nous avions un petit bureau avec cinq personnes», raconte Jérôme Schurink, le directeur financier de Gunvor.

Aujourd’hui, la société de trading loue 1000 mètres carrés de bureau. En moins de cinq ans, l’effectif est passé de 20 à 80 personnes. «Et d’ici à la fin de l’année on sera plus de 100», assure le directeur de Gunvor, qui a réalisé un chiffre d’affaires de 65 milliards de dollars en 2008. Pourquoi avoir choisi Genève? «C’est plus facile de faire venir du monde ici qu’ailleurs. Il suffit de regarder les conditions de travail que l’on a», poursuit Jérôme Schurink.

Le bénéfice des bilatérales

Il y a évidemment la présence des banques indispensables aux activités de trading, mais cela ne fait pas tout. «On a pu se développer sans beaucoup de problèmes et de ­contraintes majeures. Depuis les bilatérales, il est, en outre, plus facile de recruter des gens en Europe. Parmi notre personnel, nous avons des Français, des Suédois, des Finlandais, des Italiens, des Espagnols, des ­Allemands, une Polonaise et une Estonienne», poursuit le directeur de Gunvor.

La qualité de vie de Genève fait florès

Pour la plupart, ils sont bardés de diplômes universitaires en économie et finance. Beaucoup préfèrent Genève à ­Londres. «Ici, l’aéroport est à côté et il y a des vols directs pour toute l’Europe. Cela fait gagner beaucoup de temps», souligne Jérôme Schurink.

Enfin, les traders qui débarquent le plus souvent avec femme et enfants ont souvent des exigences assez marquées en matière de scolarisation.

Là encore, Genève et ses écoles internationales sont à même de répondre à leurs besoins. Le seul bémol venu ponctuer cet enthousiasme concerne le logement. La difficulté à trouver rapidement un bien qui corresponde aux besoins des nouveaux arrivants est la seule ombre au tableau.

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