4/16/2009

L’Empire State Building en vert

Par Pierre Veya - Le Temps

L’Empire State Building, symbole de la ville de New York, va subir une rénovation écologique exemplaire. Sa consommation d’énergie va baisser de 38 %
C’est le symbole de la ville de New York. L’Empire State Building, construit en une année à peine, au début d’une année noire, 1930, l’immeuble qui fut pendant longtemps le plus haut de la planète, devient le gratte-ciel le plus écologique de tous les Etats-Unis. Conçue en huit petits mois, la transformation coûtera 20 millions de dollars, investissement rentabilisé en trois ans, grâce aux économies d’énergie évaluées à 4,4 millions de dollars par an. En 2013, au terme du chantier, l’Empire State Building consommera 38% d’énergie en moins.

Le programme des travaux, annoncés alors que débute une réfection importante des façades Art déco qui ont rendu célèbre ce monument du capitalisme triomphant américain, est exemplaire dans sa conception. Les propriétaires, la famille Malkin n’ont pas cherché un «coup d’éclat», sans retour économique. Les ingénieurs ont appliqué un principe d’économicité stricte: la performance énergétique à atteindre (38% d’économies d’énergie, un éclairage réduit de moitié, etc.) devait être rentable. Pour y parvenir, ils ont bénéficié du soutien de la Fondation Clinton Climate Initiative et des conseils des maîtres de la frugalité énergétique du Rocky Mountain Institute.

En étroite collaboration avec des entreprises spécialisées, les ingénieurs ont déterminé plus de 60 mesures. Les plus importantes consisteront à isoler les 6500 fenêtres de l’édifice, à améliorer l’efficacité du chauffage, de la ventilation et à placer des milliers de capteurs électroniques pour gérer les flux énergétiques du bâtiment. Le chantier est complexe, aux dimensions d’un bâtiment qui comporte 102 étages, 73 ascenseurs pour une surface de 2,6 millions de m2, abritant au plus fort de la journée plus de 13 000 personnes. Pour minimiser l’impact de la pollution due aux transports prévus pour alimenter le chantier, les vitres seront isolées in situ, par la pose d’un film isolant entre les deux verres. Les locataires ont été associés aux travaux et ont mesuré leur consommation afin de les aider à réduire, par toute une série de mesures, leurs besoins énergétiques. La firme suédoise de construction Skanska, qui occupe l’un des étages rénovés, est parvenue à baisser sa consommation d’électricité d’un tiers, sans réduction de son activité ou de son confort. Pour le maire de New York, Michael Bloomberg, la rénovation de l’Empire State Building est le nouvel étalon architectural de la cité: «Cela montre au reste de la ville que les immeubles existants, quelle que soit leur taille ou leur hauteur, quel que soit leur âge, peuvent réduire de manière significative leur consommation d’énergie.» En pleine dépression économique, comme au premier jour de sa construction, l’Empire State Building fait un pied de nez à sa propre histoire, marquée par de nombreux déboires financiers qui ont ruiné ses premiers propriétaires. La famille Malkin, elle, est confiante: les loyers pourront être augmentés grâce au surplus de confort pour un coût énergétique moindre. «Le public en général associe l’écologie à des renoncements et à des coûts supplémentaires. Nous sommes en train de prouver le contraire: pas de compromis et un retour sur investissement.»

Les visiteurs de l’Empire State Building ne s’apercevront pas des changements opérés, à cette petite différence près que le célèbre éclairage de la flèche du gratte-ciel, tout de bleu et blanc, pourrait devenir parfois vert et non plus rouge en cas d’événements spéciaux.

Le réalisme de New York contraste avec les visions grandioses annoncées par la Chine et ses fameuses nouvelles villes vertes. La première d’entre elles, dont l’inauguration devait coïncider avec l’Exposition universelle de 2010, est Dongtan, près de Shanghai. Une ville modèle, recyclant ses déchets, produisant toute son énergie de manière renouvelable, bref la ville du futur, qui aurait compté jusqu’à un demi-million d’habitants au plus fort de sa croissance. Or, comme le raconte Christina Larson sur le site spécialisé Environnent 360, de l’Université de Yale, l’éco-ville de Dongtan sombre corps et biens. La ville, qui aurait dû être en plein travaux en 2009, n’est plus qu’un mirage. Rien n’a commencé et, sans le dire, les grandes firmes d’architectes et d’ingénieurs qui s’étaient précipitées pour réaliser les rêves de l’Empire du Milieu quittent la Chine sur la pointe des pieds. Les visions futuristes des architectes ont manifestement plus servi la propagande de certains élus que la politique environnementale. Le tout sur fond de corruption et de multiples arrestations. Une autre éco-ville, Huangbaiyu, qui devait transformer un petit village du Nord-Est en un autre modèle du développement écologique pour des populations rurales, fait la démonstration par l’absurde des dérives d’un urbanisme proclamé sans concertation. Là où de grands noms mondiaux de l’architecture ont travaillé pour concevoir le village du futur, les rares réalisations se révèlent inadaptées et totalement inabordables par les paysans censés y vivre. Ces échecs ne surprennent pas les experts chinois. Ils savent faire la distinction entre les visions enrobées des dessins d’experts internationaux prestigieux attirés par nuées entières par le grand laboratoire chinois et la réalité d’un pays qui applique depuis peu seulement des normes contraignantes en matière de construction. Singapour en a tiré les leçons: son projet de ville modèle aux environs de Tianjin progresse grâce à sa meilleure intégration dans le tissu local. Des risques de mésaventures sont tout aussi élevés dans certains pays pétroliers, où des projets de villes futuristes naissent dans le désert mais sans que l’on sache exactement sur quel substrat économique tout cela repose. Avec l’Empire State Building, l’économie durable (green economy) fait sans doute un bond plus modeste mais bien plus important que des visions sur papier qui finissent souvent dans les sables.

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