3/27/2009

Biocarburants: un nouvel âge

Par Pierre Veya - Le Temps

Le bruit médiatique dissimule souvent les évolutions véritables, celles qui vont imposer de nouvelles pratiques
Le bruit médiatique dissimule souvent les évolutions véritables, celles qui vont imposer de nouvelles pratiques. C’est très précisément ce qui se passe dans le domaine très controversé des biocarburants. Célébrés, puis tout aussi rapidement voués aux gémonies, les carburants produits à partir de la biomasse entrent pourtant dans un nouvel âge, celui de la certification. La Suisse, on le sait peu, joue un rôle pionnier dans ce processus. Alcosuisse en collaboration avec l’EPFL et des partenaires privés travaillent à la création d’un label pour le bioéthanol (etha STAR*) et le biodiesel (fame STAR) qui définit des critères très stricts pour la production et la distribution d’essence verte.

Ce processus de labellisation répond aux objectifs des ordonnances fédérales qui détaxent les carburants verts indigènes ou importés. Un label ira plus loin. Il pose des exigences très sévères: l’usage du bioéthanol ou du biodiesel devra engendrer un gain de 40% dans la réduction de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle; la production ne pourra pas mettre en danger la diversité biologique ou empiéter sur des zones sensibles (forêts tropicales, zones humides, etc.); les conditions de production devront respecter au minimum les conventions fondamentales de l’OIT (Organisation internationale du travail). Concrètement, la production d’essence verte à partir de déchets agricoles ou sylvicoles obéit en tous points à ces exigences. Certains pays comme la Suède, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, la Californie tout récemment, ont engagé un processus de certification comparable à celui envisagé par la Suisse. Des critères sévères, on peut en déduire que les importations de bioéthanol américain provenant de raffineries alimentées au charbon par exemple, d’huile de palme issue de plantations implantées sur d’anciennes forêts vierges ou d’éthanol issu de firmes brésiliennes peu respectueuses des conditions de travail de leurs employés seraient prohibées.

A terme, les labels limiteront les possibilités de produire des biocarburants à partir de produits agricoles nobles (blé, maïs, colza, etc.) ou de terres ayant une grande valeur écologique. Ils offriront en revanche aux consommateurs la certitude que les «biocarburants ne sont pas une fausse bonne idée». Pour le professeur Edgard Gnansounou, qui dirige à l’EPFL les travaux sur la certification des biocarburants, la labellisation permettra de lever les obstacles environnementaux majeurs à la commercialisation de l’«essence verte». Pour Pierre Schaller, directeur d’Alcosuisse, la branche commerciale de la Régie fédérale des alcools, le standard suisse devra être «exemplaire» pour s’imposer au-delà des frontières helvétiques. Il espère que le produit sera disponible dans quelques mois.

Bien évidemment, le processus de labellisation des biocarburants se heurtera tôt ou tard aux règles du libre-échange de l’OMC. Les conflits sont en effet programmés: les pays du Sud craignent que les pays du Nord en profitent pour verrouiller leurs frontières et discriminer leurs concurrents. Les conflits ont déjà commencé. Par exemple, l’Europe reproche aux Etats-Unis son dumping dans la production de biodiesel et le Brésil se bat pour accéder aux marchés européen et américain. La labellisation des biocarburants mettra à rude épreuve les nerfs des négociateurs à l’OMC qui ne savent pas comment intégrer les normes environnementales et sociales dans les échanges commerciaux sans créer des distorsions de concurrence. Adoptés sur une base volontaire, les labels prennent de vitesse des discussions qui s’annoncent très difficiles sur le plan multilatéral. Les labels sur les biocarburants préfigurent sans doute un mouvement général qui vise à améliorer la traçabilité des produits et à rendre visible pour le consommateur final leur empreinte écologique. Aux Etats-Unis, le débat, longtemps confiné au monde académique, prend de l’ampleur. A tel point que l’Association des producteurs de biocarburants insiste désormais sur la nécessité de passer rapidement aux productions de deuxième et troisième générations, utilisant des déchets ou des plantes n’entrant pas en concurrence avec la production alimentaire. C’est peut-être le paradoxe: les biocarburants si décriés pourraient accélérer les processus de la labellisation environnementale qui valorisent les productions respectant des critères environnementaux ou sociaux. Les pays du Sud y voient un risque de protectionnisme déguisé et le lobby pétrolier craint de devoir s’expliquer sur les conditions d’extraction de l’or noir qui ne sont jamais prises en compte et rarement connues.

Pour les investisseurs dans la filière des biocarburants, la labellisation fixe un cap qu’il serait dangereux à terme de vouloir contourner. Pour s’imposer et prendre une part de marché aux produits pétroliers, les biocarburants devront faire la démonstration qu’ils améliorent le bilan du CO2 dans les transports et s’insèrent dans une économie durable et respectueuse des écosystèmes. L’enjeu devient considérable. Et une fois de plus, tous les regards se tournent vers les Etats-Unis. Le président Barack Obama a mis la barre très haut: il vient de fixer la part des biocarburants à 30% d’ici à 2030. Un tel objectif exigera la création d’une véritable industrie de la bioénergie et la mise en place rapide de filières de deuxième et troisième générations. En Europe, où les critères de production sont d’emblée plus exigeants, les ambitions sont plus modestes (10% de l’essence d’ici à 2020). Comme toujours les Etats-Unis déterminent une stratégie et règlent les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. En Europe, les gouvernements ont choisi d’imposer des garanties avant d’autoriser une production de masse. Pour les industriels, l’Europe ne se trompe pas en fixant des exigences environnementales sévères mais ses ambitions dans les évolutions technologiques demeurent trop modestes. Alors que les Etats-Unis investissent plus d’un milliard de dollars dans le développement de bio-raffineries expérimentales destinées à des productions biocarburants de seconde et troisième générations, de bioplastiques et de fibres, l’Union européenne, elle, n’y consacre qu’une centaine de millions d’euros. A l’inverse, la Chine observe de très près ce qui se passe aux Etats-Unis et annonce qu’elle va accélérer le pas. Les biocarburants arrivent, ils devront être «propres» pour s’imposer. L’Europe et la Suisse auront eu le mérite de le rappeler mais tout montre qu’ils ont toutefois oublié d’investir en se lançant d’emblée dans un procès de diabolisation des carburants verts.

* Fondements pour l’établissement de labels pour les biocarburants liquides: www.eners.ch

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