3/21/2009

Le climat n’attendra pas la fin de la récession


Par Eckhard Plinke - Le Temps 23 Fev 2009

Eckhard Plinke, chef de la recherche en développement durable pour Sarasin, porte un regard critique sur les matières premières
Le Temps: Quel regard portez-vous sur les matières premières sous l’angle du développement durable?

Eckhard Plinke: Pour des raisons éthiques, nous sommes très réservés à l’égard des investissements en matières premières puisqu’ils ne sont pas durables. L’objectif est de réduire la consommation des matières premières du fait de la limitation des ressources et du réchauffement climatique.

– Quel est l’effet de la spéculation sur les matières premières?

– La spéculation sur le prix des produits agricoles est un thème relativement discuté. Il en ressort que la spéculation est avant tout un symptôme plutôt qu’une cause de la hausse. Les études indiquent un effet sensible sur le volume d’activité, mais c’est moins clair sur les prix.

Sur le pétrole, les investissements financiers ont diminué pendant que les prix se sont envolés. Pour le maïs, la relation était inverse.

– Que démontrent vos recherches sur les différences entre matières premières sous l’angle du développement durable?

– Notre analyse des matières premières sous le seul angle du développement durable porte avant tout sur la disponibilité des ressources à long terme.

Les matières premières énergétiques sont moins durables que les autres et plus sensibles à une substitution. Les matières premières agricoles sont les plus durables. Personne ne peut naturellement renoncer à ces ressources. Les métaux industriels se situent au milieu, entre l’énergie et les produits agricoles.

Le deuxième critère, à court terme, porte sur la situation environnementale et sociale actuelle. Les différences varient d’une matière première à l’autre. Dans l’énergie, le gaz naturel est sans doute le plus avantageux, en raison de ses moindres émissions, et le charbon le pire.

Dans les produits agricoles, nous intégrons les facteurs sociaux, tels que l’impact positif ou non des produits sur les pays en développement.

Le bilan durable du blé, du coton (charge environnementale forte à travers l’emploi d’eau de pesticides) ou de la viande est bien moins favorable que celui du café, du cacao ou du riz.

– Comment mesurez-vous exactement ces différences?

– Pour le bilan durable, nous utilisons la «Matrice Sarasin», qui intègre de façon très visuelle les deux niveaux de responsabilité à partir des risques ESG (Environnement, Social, Gouvernance): celle du secteur et celle de l’entreprise. Au cas des matières premières, l’axe horizontal mesure la disponibilité des ressources et l’axe vertical la production et la consommation actuelle. Il en ressort que les énergies présentent un bilan très négatif sous l’angle de la disponibilité. Les métaux se placent entre l’énergie et les produits agricoles.

– Quelles sont les matières premières qui répondent suffisamment à vos critères pour permettre un placement?

– Dans l’énergie, il y a le gaz, dans les métaux le nickel, le zinc, l’acier, l’or, le platine, et dans les produits agricoles le café, le cacao, le sucre, le soja, le maïs. Nous n’avons pas analysé l’uranium, mais, selon nos critères, il est problématique.

– Quelle est votre opinion des compagnies électriques sous l’angle de la durabilité?

– La réponse est différenciée. Nous excluons les sociétés d’électricité de nos produits standards en raison de leur production nucléaire. Mais il faut aussi considérer la part du nucléaire dans l’ensemble des affaires. Certaines entreprises sont avant tout des groupes présents dans l’hydraulique et les énergies renouvelables. Je pense à Verbund-Austria. D’autres sont très forts dans le gaz naturel. Mais notre note durable des sociétés actives dans le pétrole et le charbon est plutôt négative.

– Et les groupes suisses?

– En raison de leurs activités dans le nucléaire, la plupart sont exclus de nos portefeuilles. Seul Rätia Energie, dans les Grisons, entre en considération. Leurs plans dans le charbon nous incitent toutefois à les placer sous observation.

– Comment investissez-vous à partir des thèmes du développement durable?

– Nous avons des fonds de placement spécifiques tels que sur l’eau, l’énergie, la consommation durable, l’économie du savoir (formation, infrastructures). Ces fonds investissent essentiellement dans des actions, mais aussi en obligations.

– Quelles leçons tirez-vous de la crise financière pour les énergies renouvelables?

– Deux tendances se sont développées sur les énergies renouvelables l’année dernière. D’abord la forte hausse du pétrole, qui a soutenu la hausse des énergies renouvelables. Dans un deuxième temps, avec la chute de l’or noir, la crise financière et la récession, les investissements et leur financement ont été sérieusement freinés.

Les actions des énergies vertes ont plongé, davantage que la moyenne, mais économiquement les résultats étaient encore fantastiques, avec une hausse mondiale de 70% des installations photo­voltaïques et une hausse de 35% des turbines à éoliennes.

L’industrie a gagné en maturité. Les coûts de production ont baissé. Certes la compétitivité des énergies renouvelables a été pénalisée par la baisse des prix du pétrole. Mais dans plusieurs régions, la baisse des coûts a permis à l’énergie éolienne de concurrencer les énergies fossiles.

– Quel est votre scénario durable pour ces deux prochaines années?

– Il est à la fois difficile et cher de financer des projets. Mais dès que le système se sera stabilisé, probablement dès le milieu de l’année, les perspectives positives à long terme reprendront le dessus. N’oublions pas que le réchauffement climatique n’attend pas la fin de la récession.

En outre, de nouveaux acteurs entrent en jeu, les producteurs d’électricité, qui renforcent la demande. Ils sont financièrement solides et peuvent investir.

La récession frappe surtout le consommateur, lequel a d’autres soucis que de passer au solaire. Mais le gouvernement Obama est très actif et soutient l’efficience énergétique et les énergies renouvelables. On parle de 70 milliards de dollars.

La tendance est en train de changer aux Etats-Unis. La Floride va lancer un programme qui offre un rabais sur le prix du courant pour les immeubles équipés d’installations solaires. En Europe, l’objectif est d’atteindre 20% d’énergies renouvelables en 2020. Il n’a pas été modifié par la récession. Dans l’énergie solaire, la croissance mondiale devrait atteindre 17% cette année et s’accélérer ensuite à 40-50%. La demande sera stimulée par la baisse des prix.

– Quelles sont les perspectives des énergies renouvelables?

– Tous les fonds en énergies renouvelables ont beaucoup souffert en 2008. Des rachats de parts ont été enregistrés, mais cette année nous bénéficions à nouveau d’afflux de fonds. Les évaluations sont très attractives et si l’on croit au potentiel à long terme de ces énergies, c’est une occasion unique. Elle ne se produit qu’une fois par génération. Mais rien ne sert de se précipiter. La banque privilégie encore la prudence à court terme.

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